Il faut bien admettre qu’en Haïti, l’informel a toujours eu droit de cité. C’est une vraie maladie sociale par ici. Mais cette informalité, qui semble parfois teintée d’une fausse chaleur humaine, cache des dysfonctionnements profonds.
Dans les sentiers tortueux du milieu littéraire haïtien, se tisse une toile d’ambitions mal ordonnées, de vanités blessées et de querelles mesquines, trop souvent au détriment de ceux ou celles qui, dans l’ombre ou la lumière, façonnent des mondes avec les mots. Derrière l’éclat des salons littéraires, des foires et des festivals, se cache un paysage désolant de rancunes personnelles, de coups bas qui sapent l’essence même de ce que devrait être la littérature : un espace de partage, de dialogue et de respect. Il devient urgent de repenser l’éthique au cœur de ce milieu, d’imaginer des structures qui protègent les auteurs.trices, de leur offrir la dignité qui leur est due.
L’éthique, dans ce contexte, ne saurait se réduire à une vague notion de convenance. Elle doit se définir par des actes, des gestes concrets qui rappellent que la littérature est un travail, un artisanat de lucioles que certains d’entre nous façonnent avec acharnement, parfois dans la solitude et souvent sans reconnaissance immédiate. Mais au lieu de célébrer ces artisans, trop souvent, dans nos cercles littéraires, ils sont dénigrés, ignorés, ou pire encore, utilisés comme pions dans des jeux d’ego mal assumés. Où est l’engagement réel envers les créateurs.trices ? Où est la reconnaissance de leur noble labeur ?
Il faut bien admettre qu’en Haïti, l’informel a toujours eu droit de cité. C’est une vraie maladie sociale par ici. Mais cette informalité, qui semble parfois teintée d’une fausse chaleur humaine, cache des dysfonctionnements profonds. Combien d’auteurs.trices ont été laissé.e.s pour compte après avoir été invité.e.s à des événements sans contrats ni accords formels ? Combien d’entre eux ont vu leur travail exploité sans aucun respect de leurs droits ? Cette coutume de l’informel, sous couvert d’une fraternité hypocrite, a servi de terreau à des dérives grotesques où le talent cède la place à l’affront personnel, à la rancune, à la jalousie ou du fait qu’on est Haïti.
Il est temps que les institutions, ces entités qui organisent des salons, des foires et des festivals, prennent leurs responsabilités. Il est temps qu’elles instaurent des contrats formels, des règles claires, qui garantissent aux auteurs.trices un minimum de respect, de reconnaissance et de protection saine. Un contrat, ce n’est pas seulement une obligation légale, c’est une manière de dire à l’autre : « Je reconnais ta valeur, ton travail mérite d’être protégé, nous nous engageons à respecter nos accords.»
Mais plus encore, cette éthique doit naître d’un éveil du soi, d’une prise de conscience collective. Elle ne doit pas être seulement imposée de l’extérieur par des institutions, mais cultivée par chacun des acteurs.trices ou opérateurs.trices culturel du milieu. Car comment espérer que l’on respecte les auteurs.trices si ceux qui organisent, ceux qui forment, ceux qui se disent responsables du littéraire, ne comprennent pas eux-mêmes la valeur de l’engagement ? Ceux qui ont été formés, qui ont été initiés aux laves de la culture littéraire, doivent faire preuve d’un leadership éthique. Ils doivent être les premiers à reconnaître que les auteurs.trices ne sont pas des marchandises à exploiter, mais des êtres humains qui, à travers leurs écrits, offrent un morceau de leur âme au monde et à ce pays.
Nous ne demandons pas la perfection, mais un minimum de dignité. Car chaque auteur qui pose ses mots sur une page le fait avec un dévouement qu’on ne peut sous-estimer. Et ce respect que nous demandons, ce n’est pas une faveur que l’on accorde, c’est un dû. Au-delà des affinités personnelles, au-delà des querelles intestines, il y a une cause plus grande que les maladresses, celle de la littérature elle-même. Et si nous ne savons pas honorer cette cause, si nous ne savons pas traiter ceux ou celles qui la servent avec la dignité qu’ils méritent, alors nous ne faisons que trahir notre propre mission.
L’éthique dans la littérature haïtienne doit être un phare. Non pas un fardeau, mais une lumière qui éclaire notre chemin, qui nous rappelle que la véritable grandeur réside non pas dans les éclats éphémères d’un salon ou d’une reconnaissance, mais dans la manière dont nous respectons ceux ou celles qui créent. Si nous voulons que notre littérature perdure, si nous voulons qu’elle continue de porter la voix de notre peuple, alors nous devons apprendre à respecter les voix qui la font vivre.
Car, au fond, qu’est la littérature, sinon un acte de foi en l’humanité ? Et qu’est une société littéraire qui ne respecte pas ses auteurs.trices, sinon un navire à la dérive, une trahison de ce que nous sommes ?
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Ceux qui se disent responsables du littéraire, ne comprennent pas eux-mêmes la valeur de l’engagement..
Ar Guens Jean Mary