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Jean Rony Charles : « La littérature doit taper du poing et dénoncer avec véhémence »

Auteur de Pitié, paru en 2022 chez les Éditions Repérage, l’écrivain Jean Rony Charles explore avec force et sensibilité les réalités douloureuses de la société. Invité spécial de la 18e édition de Week-end Poétique à Carrefour en janvier 2025, il revient sur son parcours, sa vision de la littérature et son rôle dans un pays en proie au chaos.

Entretien.

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Jean Rony Charles, l’invité spécial de la 18e édition de Week-end Poétique à Carrefour en janvier 2025

1. Comment êtes-vous arrivé à la littérature, l’écriture ?


La littérature a été dès le début ce monde parallèle qui m’a permis de trouver un gîte qui correspond à ma perception de la vie. Je panse mes blessures avec elle, et je me découvre mieux en m’y enlisant davantage au fil du temps. L’exercice de l’écriture m’est donc venu avec la force imposante d’une nécessité. C’est à travers cette lucarne que les confettis qui composent le halo lumineux de la vie me renvoient l’image nue et authentique de mon être. Je me découvre à chaque livre, et je me réinvente à chaque projet d’écriture. En somme, c’est inextricablement lié à l’objet même de mon existence.

2. Vous avez publié votre premier livre ayant pour titre « Pitié » chez les éditions Repérage. Il parle de quoi ? Pourquoi un tel titre ?


Pitié — je ne le savais pas encore à l’époque de sa parution — est un ouvrage avant-gardiste. Au départ je voulais marteler cette évidence que la communauté ignore avec insistance : négliger l’épanouissement d’un enfant c’est précipiter l’affaissement de la société. Mais je voulais surtout mettre le doigt sur ce mal qui ronge malheureusement des milliers de jeunes dont l’appel au secours de leur âme fatiguée résonne creux entre les parois mornes de l’indifférence des autres. Pitié c’est aussi le miroir qui réfléchit mieux que la réalité toute la peine et la douleur qui alourdissent l’atmosphère de la vie, car, paradoxalement, on s’entête à pérenniser le déni de cette réalité qui devrait tous nous interpeller. Dans la maison d’à-côté, à quelques pâtés de maisons, dans le quartier voisin, ou la commune voisine, partout, souvent, il y a cette réalité crade et cruelle qui danse boiteusement sous nos yeux. Pitié raconte donc l’histoire de ces invisibles qui naissent dans la tombe et qui doivent creuser du bout des ongles dans une quête désespérée de salvation et de rédemption.

3. Aujourd’hui, Haïti fait face à l’un des pires moments de son histoire. Massacre, kidnapping, vol et viol sont le lots quotidien du pays. Que peut la littérature dans un contexte pareil selon -vous ?


Face à l’indolence d’un peuple dont le quotidien ne se distingue plus du chaos, la littérature doit surtout être subversive. On a longtemps cru que le mal était bénin, on s’est piteusement octroyé le luxe de croire qu’il revenait toujours à autrui de faire le nécessaire, mais au final la réalité nous coiffe tous au poteau. Désormais, il n’y a plus d’issues de secours à privilégier, et il faut surtout s’extirper du piège des palliatifs. C’est assurément le moment où la littérature doit taper du poing, et dénoncer avec véhémence les distorsions qui entravent l’accession du peuple à la réalité ; c’est le moment de mettre impérativement les points sur les i et les poings dans la gueule de ceux-là qui emmènent le peuple à la potence, intraitables bourreaux déguisés en prêtres offrant la douce illusion de l’absolution. Je parle ici de « violence légitime » dont le mobile serait un ras-le-bol qui a trop tardé. Les mots doivent s’armer de la force implacable d’une soif de liberté et de respect de la dignité. Il faut envoyer au tapis les énergumènes qui séquestrent l’avenir de ce pays. C’est le moment de se dire finalement que le déni est un acte suicidaire, au même titre que la résignation. Et le pouvoir de galvaniser les cœurs et les esprits, n’a-t-il pas toujours appartenu à la littérature même dans les périodes les plus sombres de l’histoire ?

4. Qu’est ce que cela vous fait d’être l’invité spécial de la 18ème édition de weekend poétique à Carrefour ?


Franchement c’est une fierté énorme pour moi. Mais j’accueille cela avec humilité et reconnaissance. Weekend Poétique est une initiative phare dans la commune, et quiconque en serait l’invité spécial ne saurait demeurer insensible à la signification d’un tel honneur. En outre, je suis particulièrement heureux d’être au cœur même de cet improbable acte de résilience dans la commune de Carrefour. L’histoire se souviendra que les averses n’ont pas su arrêter notre danse. Et cela continuera jusqu’à l’aube. Car l’espoir qui brûle dans nos cœurs ne peut être vain.

5. Des projets d’écriture en cours …


Cela va sans dire, puisque j’écris pour exister. Mais surtout parce que j’aimerais ajouter ma voix à la longue liste de ceux qui ont à dire sur l’essence même de la vie, la mort, la beauté, la laideur de certains cœurs, mais surtout de la lutte interminable de certains pour ne pas jouer le rôle du diable dans une pièce que celui-ci a lui-même écrit. Pitié a ouvert la voie, j’espère bientôt poursuivre l’aventure avec un roman, et d’autres suivront éventuellement.

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