Un triptyque poétique de Florestal le Moine
La main plongée dans la crinière d’un foyer de passions violentes, l’enfance s’abreuve de rires comme une pluie d’étincelles, tandis que l’âge adulte émerge, figé, lacéré de crocs. Florestal le Moine, poète du Renouveau, façonne une trilogie poétique où feu, enfance et ruine s’entremêlent dans un langage à la fois charnel et lumineux. Ce triptyque, tendu entre lyrisme incandescent et subtilité, scrute la métamorphose de l’humain en bête sociale. Une poésie au bord de l’abîme, à découvrir sur HPost5.
I.
ma main
peigne à cinq dents dans la chevelure du feu
je démêle le secret du crépitement
dans le cri du bois mort sur le bûcher
pour que la nuit ait un foyer où goûter au saignement du jour
et ne pas mourir de froid
pour que l’enfant qui rit
soit en toute heure un soleil sans ride ni fatigue
un témoin de vie
la cendre éparpillée par-delà l’enfance
II.
la porte des temps tourna sur ses gonds
par l’embrasure des âges
nue l’enfance sous la pluie se baignait
et les joues en soleil des marmots sous les eaux du ciel s’embrasaient
au bout des lèvres
rien ne gèle ni ne se pétrifie
nous marchions volontiers
dessus les éclats de rire tombés du menton
épis de dents où les cœurs se blessent au bonheur
au bout des doigts
donner et prendre deux bouts de pain à partager
et nous nous embourbions en nous-mêmes
dans la mare des accolades
soudain cessa la pluie
le rire, traînée de rouille semée au fil du vent,
meurt, carie sédimentée sur fond de dents blanches
III.
la porte des temps se referme
l’aujourd’hui et l’hiver sont là
– dans la poitrine des souffles flocons de neige –
le cœur tombé dans la froideur de l’ozone
nous voici à l’âge de glace
la bouche remplie de canines
nous voici adultes
miroirs inversés où les grimaces riment aux sourires
les tonnerres du grognement ont remplacé la pluie des salives
fini le temps des averses de rires
où la terre buvait la joie à même le goulot
nous voici animaux greffés au trépas des arbres
nous prenons racine dans les troncs morts
croissons fauves parmi les fauves
croisons les crocs comme on croise le fer
la jungle est là
nous voici meute de charognards
se nourrissant de la pourriture des autres
Lecture critique
Florestal le Moine appartient à cette génération du Renouveau qui puise aux sources du symbolisme, du réalisme et/ou du beau pour forger une poésie à chanter. Dans ce triptyque poétique, l’auteur peint une fresque, où la sensibilité de l’enfance se consume dans les flammes du monde adulte. Le langage est image, rythme et substance. Les poèmes avancent comme un rite de passage : de la chaleur première au glaçage des êtres, de l’insouciance aux cendres du rire. Une poésie à lire à voix haute, une poésie à chanter en chœur comme pour invoquer un souvenir.
À propos de l’auteur
Natif de Mombin-Crochu (nord-est d’Haïti), Florestal le Moine est administrateur, poète et scénariste. Il est l’auteur de plusieurs publications, dont Mille couleurs pour un arc-en-ciel (Éditions Repérage, 2024), son dernier ouvrage. Récipiendaire de plusieurs prix et distinctions littéraires pour ses œuvres, il a également coécrit le feuilleton socio-éducatif « Chapo ba », coproduit par FOKAL et l’institution Village Santé. Il réside actuellement au Cap-Haïtien, où il a terminé ses études classiques et universitaires.
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