Rencontre avec Arlens Théodore, jeune poète : « Écrire pour survivre et donner un sens à la douleur »

Pour notre deuxième sortie, nous avons rencontré le jeune poète Arlens Théodore à Léogâne, quelques jours après qu’il eut passé son baccalauréat. Né en 2007, il découvre très tôt l’écriture comme un refuge, une façon de survivre à l’indicible. Marqué par des pertes et des scènes de violence, il compose ses premiers poèmes dans un silence habité, porté par le besoin de dire l’émotion brute. Passionné de lecture, influencé par les grandes voix d’Haïti – Gary Victor, Dany Laferrière, Jacques Roumain – il écrit aujourd’hui avec l’intuition d’un appel. Il a bien voulu répondre à nos questions.

I. Origines du feu

HPost5 : Arlens, pour commencer tout en douceur : peux-tu nous dire d’où te vient ce goût pour la littérature et l’écriture poétique ?

Arlens Théodore : Je crois que tout a commencé à la bibliothèque de mon école. Tout petit, je m’y réfugiais souvent, et c’est là que j’ai rencontré les classiques haïtiens. J’ignore à quel moment précis le goût s’est vraiment enraciné, mais je sais que c’est là qu’il est né. Ensuite, à treize ans, j’ai écouté un slam de Vens qui m’a bouleversé. Et l’écriture est entrée dans ma vie, comme une évidence.

HPost5 : Y a-t-il eu une étincelle particulière ? Une lecture, une voix, un moment de silence peut-être, qui t’a poussé à prendre la plume ?

AT : Oui. Une scène. J’ai vu une personne se faire fusiller devant moi. Ce choc m’a profondément ébranlé. J’étais adolescent, et mon esprit ne savait pas comment contenir une telle violence. J’ai commencé à écrire, parfois sans cohérence, juste pour faire sortir ce qui me brûlait à l’intérieur. Ce fut une forme de survie. La poésie m’a sauvé.

HPost5 : Te souviens-tu du tout premier poème que tu as écrit ? Quelle émotion t’habitait à ce moment-là ?

AT : Très bien. Je l’ai écrit pendant un cours. Il parlait de la mort de ma grand-mère et de la perte d’un ami. C’était un poème de tristesse pure, une coulée de chagrin. Mais en même temps, écrire m’a donné une force étrange. J’ai senti que j’avais enfin un moyen de parler à ceux qui ne m’écoutaient pas, de me libérer sans crier.

II. Lectures qui accompagnent, écritures qui façonnent

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Arlens Théodore, jeune poète

HPost5 :Quels livres ou quels auteurs t’accompagnent dans ton cheminement ?

AT : Dany Laferrière est pour moi un guide. Je l’admire profondément. Il m’aide à croire que la parole haïtienne peut être libre, belle et vaste. J’aime aussi Gary Victor, Jacques Roumain, Lyonnel Trouillot. Et parmi les voix contemporaines, j’admire le poète Ansky Hilaire, pour sa manière de jouer avec les mots. Il m’arrive aussi de lire Christian Signol, Hyam Yared… Je lis large, je lis ce qui m’appelle.

HPost5 : Est-ce qu’il y a des vers, des textes ou même une phrase qui t’ont marqué au point de te transformer un peu ?

AT : Oui. Une phrase de Gary Victor, dans Treize nouvelles vaudou :

« Les hommes, dès qu’ils sont confrontés à l’inconnu, n’ont qu’un seul recours : l’occulte. »

Ça m’a bouleversé. Pour moi, la poésie est justement cet occulte. Elle me permet de nommer ce que je ne comprends pas. Et puis il y a cette autre phrase, d’un ami proche : « Ce qui fait l’honneur d’un homme, c’est son respect. » Je la garde dans un coin de mon cœur.

HPost5 : Comment choisis-tu ce que tu lis ? Te laisses-tu guider par l’instinct, ou suis-tu des recommandations précieuses ?

AT : Je laisse l’instinct me guider. Je peux ouvrir un roman, un recueil, une page numérique ou un vieux livre abîmé… ce qui compte, c’est le lien qui se crée. J’ai un attachement très fort aux livres. Je les lis comme on ouvre des fenêtres. Ils m’aident à respirer.

III. Le poète que tu deviens

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HPost5 : Quand tu écris, à qui parles-tu en premier ? À toi-même ? Au monde ? À quelqu’un en particulier ?

AT : Cela dépend. Parfois, j’écris pour moi-même. D’autres fois, c’est pour ma génération, pour les jeunes comme moi. Il m’arrive aussi d’écrire pour les élites, comme une interpellation. Il y a aussi une voix plus intime : celle que j’adresse à ma grand-mère disparue, à mon père que je n’ai pas connu. Et puis, oui, à celles que j’aime. Mes poèmes leur parlent en silence.

HPost5 : Quelles sont les émotions ou les idées qui reviennent souvent sous ta plume ?

AT : La mélancolie, d’abord. Et depuis peu, une certaine colère. Une peur aussi, face à l’avenir, à l’exil. Mais parfois, au cœur de tout cela, surgit l’amour. C’est toujours surprenant. Je crois que mes textes portent la trace de cette tension.

HPost5 : Comment trouves-tu le courage de poser tes mots sur la page ? Est-ce un geste quotidien, ou plutôt un besoin spontané ?

AT : Oui. Avant, je m’imposais une discipline. Maintenant, c’est devenu un réflexe. Une nécessité. Où que je sois, si un vers me traverse, je l’écris. Je n’ai plus besoin de forcer. L’écriture est en moi.

IV. Entre la jeunesse et le rêve

HPost5 : Tu viens tout juste de franchir une étape importante avec ton baccalauréat. Comment vis-tu ce moment de transition entre l’élève et le jeune homme en devenir ?

AT : Je le vis comme une ouverture. J’ai réussi à garder l’équilibre entre l’école et la poésie. Maintenant, j’ai envie de consacrer plus de temps à lire, à écrire, à participer à des activités poétiques. C’est le moment de m’affirmer.

HPost5 : Qu’aimerais-tu accomplir dans les prochaines années, en tant que poète, mais aussi simplement en tant qu’être humain ?

AT : Être publié. Gagner des prix. Mais surtout, toucher les gens. Je ne cherche pas la gloire. Je veux que ma poésie résonne. Je veux qu’on entende ma voix comme celle d’un jeune poète sincère.

HPost5 : As-tu déjà rêvé de publier un livre ? Si oui, peux-tu nous en dire plus sur ce projet intérieur ?

AT : Oui. J’ai déjà réuni une centaine de textes. Deux recueils sont en cours. Ils parlent d’amour, de tristesse, d’exil. Je veux que chaque mot compte. Je prends mon temps, mais je suis déterminé.

V. Mots partagés

HPost5 : Si tu devais dire quelque chose à un·e jeune qui, comme toi, aime écrire mais n’ose pas encore partager ses textes, que lui dirais-tu ?

AB : Je lui dirais ceci : « Pa tann se lè ou wè yon lòt ap fè siksè ak zèv li pou w pral gen anvi depase l. Se depi kounya pou w koumanse plante pou rasin ou ka tchebe fenm pou yon jou pou w ap tande yo ap pale de ou. »

Commence maintenant. N’attends pas.

HPost5 : Et si un jour, tu devais écrire un poème pour celui ou celle qui t’a le plus inspiré dans cette aventure, à quoi ressemblerait-il ?

AT : Ce serait pour ma mère. Elle n’a jamais lu mes textes, mais elle m’a toujours soutenu. Son amour a été une lumière constante. Je n’ai pas encore trouvé les mots pour lui rendre ce qu’elle m’a donné.

HPost5 : Enfin, aurais-tu quelques vers à nous offrir pour conclure cette rencontre ?

AT : « Si jamais je pars après cette rencontre
Qu’il restera à jamais mémorable
Que mon âme ira chercher la poésie
Dans un autre corps comme le mien »

Propos recueillis par Ansky Hilaire

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Ansky Hilaire, écrivain haïtien contemporain, explore l'identité et la culture haïtienne à travers ses œuvres littéraires et poétiques. En 2020, il a remporté le prix de Palmes Magazine de l’écrivain de la région. Juriste, journaliste, enseignant et titulaire d'un certificat en Rédaction de propositions de Subventions (ACP) au programme Transcultura de l'UNESCO.

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