Faire autrement
« Je m’ennuie de voir l’art traité comme du fast-food : vite préparé, vite consommé, vite oublié. Basta ! On appelle ça « trend ». Une grande partie s’y met. Moi, j’appelle ça paresse. »
On tourne en rond. Toujours le même recyclage de codes. Les mêmes visages fatigués. Les mêmes soirées où l’on danse sur ce qui prétend être chill. Toujours les mêmes artistes qui copient les autres, parce que « ça marche ». Parce que « c’est tendance ». Toujours les mêmes refrains. Comme une rengaine qui refuse de s’éteindre. Mais où est l’innovation, l’inattendu ? Où est la part d’émerveillement de l’œuvre?
Jacmel mérite mieux. Et je le dis franchement : depuis quelque temps, la scène culturelle piétine. On se croise dans les mêmes lieux, on se salue. On fait semblant d’être heureux. Mais, derrière, les murmures circulent : « Le grand public, celui qui est plus vaste, plus divers, ne vient pas. » Peut-être qu’il n’est pas réticent. Peut-être qu’il attend seulement qu’on lui propose autre chose. Qu’on lui tende une main qui ne sente pas déjà le réchauffé.
Soyons honnêtes : beaucoup de ces soirées dans les bars ne servent qu’à remplir la caisse des propriétaires. Rien de honteux à ça. Mais de grâce, qu’on n’appelle pas ça du « social ». Le social, c’est un projet humain. Une vision. Une réponse à un besoin réel de la communauté. Pas juste un prétexte pour vendre la bière plus chère ou moins chère, tout en lisant deux poèmes de Bukowski ou en écoutant le slameur du coin.
Au milieu de tout cela, je dois dire que je ne me mets pas hors du lot. J’en fais partie. Mais j’essaie – tant bien que mal – de réfléchir autrement. De me demander : à qui je parle ? Qu’est-ce que ce lieu, ce public, a vraiment soif d’entendre, de vivre ? Quelle théorie peut-être à appliquer ? Parce que si je convoque le littéraire, c’est pour créer du lien. Mais pas un lien vague qui chante du « comportement bah ouais ». Un lien qui touche. Qui fait sens pour le collectif comme pour l’individuel.
Et oui, je m’ennuie. Je m’ennuie dans ces soirées qui sentent le mainstream avec des jeux twa pou ven dola. Je m’ennuie de voir l’art traité comme du fast-food : vite préparé, vite consommé, vite oublié. Basta ! On appelle ça « trend ». Une grande partie s’y met. Moi, j’appelle ça paresse. Ou flemme, pour parler comme les jeunes.
Un ami-poète et compagnon de table– celui qui a écrit Krèy bòbèch – m’a dit un jour : « L’art ne fait pas de nous des stars. Et quand on se prend pour des stars, on fait tout… sauf de l’art. » Je n’ai jamais oublié cette phrase.
Alors je le redis sans détour : le secteur culturel jacmélien doit apprendre à prendre des risques. Des risques littéraires, artistiques. Oser la recherche-création. Plonger dans nos histoires, dans nos besoins d’immersion, dans nos rapports privilégiés avec l’art. Sinon, on continuera à répéter les mêmes aboutissements, les mêmes facilités à l’aune de TikTok. Et le pire, c’est qu’on aura encore l’audace de se proclamer artistes ou opérateurs culturels. Alors qu’au fond, nous n’aurons été que des figurants : des passants dans un spectacle qui s’épuise à souiller ce qui reste de beau dans ce pays.
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