John Peter Stinvil : “Je veux simplement être un humble serviteur de la littérature”
J’ai rencontré John Peter Stinvil à l’occasion du deuxième anniversaire du Salon du Livre des Cayes, une initiative qu’il a menée avec audace et persévérance. Nous avons pris le temps de revenir sur ses débuts, ses influences et la force qui le pousse à donner vie à la littérature dans une ville qui en a tant besoin. Au fil de notre conversation, John m’a confié son lien intime avec les livres et son désir patient de construire, pierre par pierre, un espace de rencontres et de rêves autour de la lecture.

l’initiateur du Salon du Livre des Cayes
1. Parlez-nous de votre parcours et de ce qui vous a rapproché de la littérature.
Je suis un passionné de la lecture, et cet amour des livres remonte à mon enfance. Dès l’école primaire, je lisais des journaux pour un cordonnier de mon quartier, qui me donnait deux ou trois gourdes à chaque lecture. Pendant qu’il travaillait, moi, je lisais à haute voix pour lui. En arrivant aux Cayes pour mes études secondaires, j’ai découvert la bibliothèque municipale, où j’ai passé deux années comme adhérent fidèle. Ensuite, j’ai fréquenté brièvement la bibliothèque de l’Alliance Française. Mais c’est surtout depuis 2015, à la bibliothèque de l’IPDEC, que ma relation avec la lecture a pris une dimension plus profonde. C’est là que j’ai lu, appris, découvert et grandi intellectuellement.
2. Quel livre ou auteur a marqué votre enfance ou votre jeunesse ?
Dès mon plus jeune âge, j’ai eu la chance de croiser les chemins littéraires de figures majeures comme Jacques Stephen Alexis, Lyonel Trouillot et l’immense poète Georges Castera. Ces rencontres précoces ont éveillé ma curiosité, mais c’est au fil du temps que je me suis façonné à travers la richesse des voix haïtiennes. Des écrivains comme Kettly Mars et Gary Victor ont profondément marqué mon imaginaire. À 17 ans, un roman m’a particulièrement bouleversé : Il fallait venir un soir de Jean Billy Mondésir. Ce texte a été pour moi un choc émotionnel et littéraire, révélant la puissance de la littérature haïtienne contemporaine à dire l’indicible.
3. Quelles valeurs personnelles guident vos projets culturels ?
Je suis avant tout un passionné de la littérature. Elle est pour moi un refuge, une école, une mission. Je ne cherche ni reconnaissance facile ni lumière artificielle ; je veux simplement être un humble serviteur de ce grand temple qu’est la littérature. La plus grande valeur qui traverse tout ce que je fais, c’est cette fidélité sans condition : je suis là pour la littérature, et rien d’autre.
4. Qu’est-ce qui vous a inspiré à créer le Salon du Livre des Cayes ?
Depuis mon retour de Port-au-Prince, où j’ai dû interrompre mes études en psychologie à la Faculté d’Ethnologie en raison de la guerre des gangs, j’ai décidé de créer le Salon du Livre des Cayes. C’était ma façon de proposer une autre dynamique littéraire à la ville, un espace de rencontres, de réflexion et de création autour du livre et de la culture.

5. Vous parlez souvent de Derlie, votre amie. Quel rôle a-t-elle joué dans ce projet ?
Je parle toujours de Derlie parce qu’elle est le moteur de ce projet. Elle a cru en ma folie de créer le Salon du Livre des Cayes alors que rien n’existait encore. Elle est toujours disponible, toujours présente, toujours engagée. Sans elle, SALICA n’existerait tout simplement pas.
6. Aviez-vous des modèles ou expériences similaires qui vous ont influencé ?
J’ai déjà acquis pas mal d’expérience dans le domaine. J’ai fait partie d’une association appelée Écolo-Jeune qui organisait des Journées du livre, et c’est dans ce cadre que j’ai énormément appris sur la gestion d’événements littéraires. En plus de cela, je m’informe et m’inspire régulièrement d’autres grandes manifestations comme le Salon du Livre de Montréal, le Salon du Livre de Paris ou encore Livres en Folie en Haïti. Tout cela nourrit ma vision et renforce ma volonté de contribuer sérieusement au rayonnement de la littérature.
7. Quels souvenirs marquants gardez-vous de la première édition, en septembre 2024 ?
Pendant la première édition, j’ai gardé pas mal de souvenirs, mais il y en a un qui reste particulièrement spécial. J’étais coincé à cause d’un manque de carburant, et j’ai appelé Sophonie Thérassant. Sans hésiter, elle m’a répondu : « Je vais gérer ça. » À ce moment-là, j’ai compris qu’il y avait des gens qui croyaient réellement dans cette nouvelle proposition. Ce geste simple mais fort m’a profondément marqué.
8. Que retenez-vous de la deuxième édition, en mars 2025, avec Evans comme invité d’honneur ?
8Pour la deuxième édition, avec Evains Wêche comme invité d’honneur, j’ai compris que chaque édition est un défi en soi. Cette expérience m’a appris que je devrais me battre davantage, redoubler d’efforts, car je ne fais pas que gérer un événement : je porte une institution. Et cela exige non seulement du travail constant, mais aussi l’humilité d’aller vers les autres, de fédérer les énergies de la ville autour d’un projet commun.
9. Pourquoi avoir lancé des initiatives comme les braderies de livres ou la bibliothèque d’été ?
L’initiative d’organiser des braderies de livres vise à permettre aux habitants de la ville d’accéder à des ouvrages à des prix dérisoires. C’est une façon concrète de démocratiser la lecture, de rapprocher le livre du quotidien des gens, et de créer un pont entre la culture et les réalités économiques locales.
10. Quels ont été les principaux défis dans l’organisation de ce Salon ?
Comme toutes les initiatives littéraires du pays, notre plus grand défi reste le financement. Nous avons l’intention de faire de grandes choses, de bâtir des projets porteurs de sens et d’avenir, mais nous manquons cruellement de moyens. À cela s’ajoute l’absence d’une véritable politique littéraire nationale. Pourtant, la littérature est une industrie — une filière culturelle et économique capable de générer des revenus importants, de créer des emplois, et de renforcer l’imaginaire collectif. Ce manque d’investissement structurel freine des élans portés par une jeunesse pourtant engagée et créative.
11. Quelle a été votre plus grande satisfaction ou fierté depuis le début ?
Pour moi, la plus grande satisfaction, c’est que malgré les obstacles, les silences ou les retards, j’arrive toujours à proposer quelque chose. Et ça compte — surtout pour une ville comme Les Cayes, qui a tant besoin d’initiatives culturelles, de rêves partagés et d’espaces pour réfléchir ensemble.
12. Comment percevez-vous l’intérêt des jeunes pour la lecture aujourd’hui ?
Pour ma part, je perçois cet intérêt des jeunes comme une lueur d’espoir pour l’avenir de la littérature haïtienne. Malgré les défis, leur soif de lecture montre que la culture continue de vivre et de se transmettre.
13. Comment sélectionnez-vous les auteurs et invités du Salon ?
Pour l’instant, nous avons choisi de travailler avec des auteurs résidant dans le Grand Sud, principalement à cause des contraintes de déplacement, mais aussi parce qu’ils occupent une place importante dans la littérature haïtienne.
14. Que pouvez-vous déjà partager sur la troisième édition prévue pour le 6 décembre 2025 ?
La troisième édition du Salon du Livre des Cayes sera un événement très spécial, dédié à la célébration du centenaire de René Depestre ainsi qu’à l’hommage rendu à René Philoctète, deux immenses poètes haïtiens. Leur œuvre est un trésor littéraire qu’il est essentiel de mettre en lumière et de faire découvrir à un plus large public.
Pour marquer cette édition, nous proposons plusieurs activités originales, notamment des bons d’achat spécialement dédiés aux livres de René Depestre, afin d’encourager la lecture de ses œuvres. De plus, un concours de résumé sera organisé pour les élèves de N1 à NS4, portant sur un roman de René Depestre, pour stimuler leur curiosité et leur engagement envers la littérature haïtienne. Cette édition promet d’être une belle occasion de célébrer notre patrimoine littéraire tout en créant des ponts entre les jeunes lecteurs et ces grands auteurs.
15. Si vous deviez résumer en une phrase l’esprit du Salon du Livre des Cayes, quelle serait-elle ?
Le Salon du Livre des Cayes est en mission pour la littérature et par la littérature, au service du savoir, de la mémoire et de l’imaginaire collectif.
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