À Ansky Hilaire – Pourquoi partir ?
Ce texte est une réponse de Rytchee Sanon aux deux derniers poèmes épistolaires d’Ansky Hilaire, intitulés « J’habite le pays des sans-abri »et « Passe me prendre là où se taisent les cendres des cathédrales », dans lesquels le poète semble exprimer l’intention de partir.
Pourquoi partir ? J’ai lu dans l’une de tes notes que tu t’apprêtes à t’en aller, mais sais-tu le poids des mots ?
Hier encore, j’étais là, témoin des enfants du Champ de Mars, débattant de leurs vies oubliées, oubliées comme ces rêves jetés au bord des avenues. J’ai écouté le silence de la cathédrale, noyé sous l’harmonie des balles, symphonie des alliés de l’État.
La ville ne nous appartient plus depuis longtemps. Elle n’est plus qu’un écho de nos pas, une ombre qui ploie sous le poids de nos espoirs mourants. Oui, nous seuls, tous ceux qui tentons chaque jour de repousser la mort, la défiant sous les formes figées de ceux qui nous gouvernent. Mais si toi aussi tu pars, qui dira aux anciens qui nous ont vus naître ? Qui se souviendra de cette génération qui a semé dans leurs vies les graines d’un avenir que nous avons vu éclore dans la poussière de nos rêves ?
La ville est une encre délavée, et nos yeux — non, nos regards —, ces petites étoiles éparses, sont les seules lueurs qui dessinent des chemins sous les pieds de nos frères encore enfants. Ils sont là, témoins silencieux de nos luttes, de nos insomnies emportées par les vagues du désespoir. Pour eux, nous sommes Moïse, guidant les âmes perdues dans les tourments d’une mer Rouge infinie. Cette mer, la vie elle-même, oubliée par tant d’autres, rouge de sang, ce sang de nos mères sacrifiées. Ces mères qui n’avaient d’autre trésor que le peu qu’elles pouvaient nous offrir : l’unique repas de la journée.
Je suis témoin, frère. Nous sommes témoins. Nous, qui portons ces plaies invisibles, ces cicatrices que le temps n’effacera jamais. Chaque seconde ici semble contenir une souffrance si immense que même la douleur s’y dissout, tellement elle en devient impuissante. Mais derrière tout cela, il reste un souffle.
Un souffle de vie, une mémoire que nos âmes cherchent à préserver, même lorsque nous oublions les éclats de joie, ces instants volés sous la pluie ou dans la course effervescente des collines à la sortie de l’école.
Et je te le dis : nous avons un monde à reconstruire, un patrimoine à raviver. Et je n’y arriverai jamais sans la lumière de tes yeux pour me guider.
Les feuilles ne s’entassent plus dans les allées des rues désertées. Même Dieu semble s’être tu, ou peut-être se voile-t-il les oreilles. Mais sache, mon frère, que lorsque la fumée se dissipera sous ces nuages mouvants d’espoir, qui, sinon nous, racontera les douleurs du passé ? Ces blessures que l’on efface d’un coup de balai pour les jeter dans l’oubli ?
Viens, frère, je t’invite à rester.
Viens chanter la vie en hommage à ceux qui ont tenté de dessiner le bonheur au cœur du chaos gouvernemental.
Viens, marchons ensemble à la conquête de cet inconnu qui fait encore rêver.
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