Un automne en landscape

C’est toujours à l’homme de faire l’histoire, et au final c’est l’histoire qui fait l’homme…

Dans la grande salle de notre maison, je suis souvent près de la fenêtre. Je me rappelle qu’il y avait un lit en face. On s’en est débarrassé alors que j’étais reparti à Port-au-Prince. C’est sur ce lit que je m’allongeais pour lire. Et écrire, quand ça me prenait.

Je faisais avec les moyens du bord — du Nord, pardon ! Il n’y avait presque aucun moyen de me procurer les romans que je rêvais de lire. Alors, avec tout le temps qu’il me restait à tuer, à attendre je ne sais quoi, j’ai opté pour la lecture de ces romans depuis mon portable vieillissant. Tant qu’on n’activait pas les données, il pouvait me servir à feuilleter jusqu’au crépuscule : l’heure de pouvoir enfin recharger ma batterie. Une fois par jour, c’était ce qui m’était permis.

Il m’arrivait de lire près d’une douzaine de romans en un mois. Avant, je m’en croyais incapable. Faut croire que certains obstacles nous poussent au bout de nous-mêmes.

Ce début d’automne se dessinait en landscape. Allongé sur mon lit, je découvrais Veilleuse du Calvaire de Lyonel Trouillot. J’ai lu une quantité importante de ses livres à ce moment-là. La plupart d’entre eux — je pense spécialement à Parabole du failli et La belle amour humaine — ne m’ont plus quitté. Je crois en avoir déjà parlé.

Je crois avoir frôlé la possibilité d’être féru de lettres africaines. Mariama Bâ m’a bien confisqué le cœur avec sa Si longue lettre. J’apprenais les dessous, mais surtout le vrai visage de la polygamie. Dans ce cas, elle était racontée par une première épouse reléguée au second rang, pour ne pas dire complètement délaissée. L’homme, se nourrissant de chair fraîche, n’a plus d’yeux pour la chair fripée d’une femme qui lui aura fait tant d’enfants. J’ai compris que la conquête, quel qu’en soit le dessein, n’échappe à aucun des hommes.

Certains des livres lus à cette époque m’ont déçu. Certains, pour la lâcheté indéniable de certains personnages — comme dans Noires blessures de Louis-Philippe Dalembert et L’empereur de Makenzy Orcel. D’autres, pour l’insipidité tant redoutée du dénouement. Je pense à Le bout du monde est une fenêtre d’Emmelie Prophète.

Il m’arrivait de lire du théâtre, comme Foukifoura de Frankétienne, Trois prétendants, un mari d’un auteur camerounais, et d’autres pièces non encore diffusées de jeunes dramaturges haïtiens. À la base, je voulais découvrir Jon Fosse, qui venait d’être couronné du Prix Nobel, ainsi que les classiques de William Shakespeare. J’avoue que le volume de leur œuvre complète m’a un peu fait reculer.

Avec mes frères, par besoin d’évasion, parfois on sortait. La moto à trois roues nous déposait à la rue 14. On essayait tant bien que mal de découvrir la ville qui nous servait désormais de refuge. J’ai été rapidement séduit par son architecture. À défaut du mien, j’empruntais le téléphone de l’un de mes frères pour y graver les notes qui me peuplaient la tête.

J’avais des choses à dire.

Port-au-Prince me manquait, au point que j’avais envie d’écrire. Je n’avais pas encore vécu un mois entier loin de lui. J’y avais laissé ma sœur, une partie de ma famille, des amis, et bien sûr une copine avec qui je parlais de moins en moins. Le crash se précisait. Et moi, j’aurais aimé lui dire ce qu’aucun alphabet ne saurait traduire.

J’ai écrit. Qu’importe si la tempête est venue et que le vent a tout emporté. J’ai écrit. Écrire, à certains moments de l’histoire, c’est faire ce qu’il faut. Faire arme de tout.

Aujourd’hui, l’emplacement du lit est désert. Ne restent que les souvenirs des livres. Dommage qu’ils n’aient pas eu d’odeur. Quoi qu’il en soit, ils m’accompagneront encore longtemps.

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