Réponse à Ar Guens Jean Mary : De l’éthique littéraire à la reconnaissance des créateurs sous-estimés
Les créateurs de province, en particulier, font face à un traitement inégal et injuste. Ces « nègres de Port-au-Prince » — comme on les surnomme parfois — ont la prétention de tenir la littérature haïtienne sous leur bras, la modelant selon leurs préférences et leurs amitiés. Il ne s’agit pas seulement de se confronter à un manque de reconnaissance, mais à une forme de monopolisation qui prive de nombreuses voix authentiques et talentueuses de l’opportunité d’être entendues.

Cher Ar Guens Jean Mary,
Je tiens d’abord à te féliciter pour avoir pris ta plume afin de dénoncer avec courage l’anomalie persistante dans notre milieu littéraire haïtien. Dans ton article, tu évoques avec franchise les « maladresses » et « querelles intestines » qui gangrènent ce milieu, mais surtout, tu mets en lumière une cause plus grande : celle de la littérature elle-même. Une littérature qui, bien qu’elle se présente comme un terrain d’expression libre et créatif, est trop souvent capturée par les mains de ceux qui veulent en faire un instrument de pouvoir.
Le mal qui ronge le milieu littéraire haïtien
Depuis des années, j’observe ces pratiques sans pour autant m’y impliquer directement. Contrairement à toi, je n’ai pas eu ton courage d’attaquer de front ces dysfonctionnements, mais ce n’est pas par indifférence. J’ai préféré voir comment les choses évolueraient et si d’autres créateurs subiraient également ces injustices. Malheureusement, l’expérience m’a montré que les abus dans ce soi-disant milieu, qu’on qualifie à juste titre de « soi-disant littéraire », touchent plus d’un, particulièrement ceux qui, comme moi, n’ont jamais eu la faveur des grands cénacles de Port-au-Prince.
Les créateurs de province, en particulier, font face à un traitement inégal et injuste. Ces « nègres [de] Port-au-Prince » — comme on les surnomme parfois — ont la prétention de tenir la littérature haïtienne sous leur bras, la modelant selon leurs préférences et leurs amitiés. Il ne s’agit pas seulement de se confronter à un manque de reconnaissance, mais à une forme de monopolisation qui prive de nombreuses voix authentiques et talentueuses de l’opportunité d’être entendues.

Une critique littéraire pervertie
Ton article m’a également rappelé un incident que j’ai vécu avec un journaliste qui se pense autorisé à décider qui est un « grand » ou un « petit » poète. Cet autodidacte, pour qui j’avais encore un brin de respect, s’est permis de publier des critiques acerbes et mal fondées contre des écrivains qu’il jugeait inférieurs. Ce phénomène rejoint ce que Kerby Vilma a dénoncé dans son article « Pas tout à fait [de] la critique littéraire en Haïti », publié le 3 octobre 2023 dans les lignes de TripFoumi, où il critique le manque de rigueur et l’utilisation de la critique littéraire comme outil pour flatter les amis ou servir les intérêts personnels. Vilma appelle à une plus grande impartialité et profondeur dans la critique pour restaurer les armoiries de la littérature haïtienne.
Comme Vilma le souligne, la critique littéraire ne peut pas être réduite à un jeu d’amitiés ou d’intérêts financiers. Elle doit être fondée sur une véritable analyse des œuvres et sur le respect de l’artiste, peu importe son rang ou son statut dans le milieu. Le cas d’un poète originaire de Cap-Haïtien m’a particulièrement marqué. Ce journaliste, prétendant critiquer son ouvrage, n’a fait que le rabaisser. Je suis d’accord que l’ouvrage en question méritait des observations, mais il aurait fallu aborder la critique avec plus d’élégance et de respect. Critiquer sans finesse ni profondeur est une trahison de l’essence même de la littérature.
Je lui ai écrit en privé à l’époque pour lui faire part de mes impressions. Mais ce fut peine perdue. Non seulement il a ignoré mes remarques, mais il a continué dans sa lancée en s’attaquant à d’autres créateurs. La question d’argent n’est jamais loin dans ces échanges. Plusieurs créateurs ont pointé du doigt une pratique déplorable : ce journaliste aurait demandé des sommes d’argent pour publier des articles élogieux. Lorsqu’il ne recevait pas l’argent demandé, il s’en prenait aux œuvres des créateurs concernés.
Ce comportement est non seulement contraire à toute éthique journalistique, mais il montre aussi un mépris flagrant pour les efforts et le travail des créateurs. La critique littéraire ne peut pas être réduite à un jeu d’argent ou d’intérêts personnels. Elle doit être fondée sur une véritable analyse des œuvres et sur le respect de l’artiste, peu importe son rang ou son statut dans le milieu.d

Une attaque contre mes œuvres
Lorsque je suis intervenu publiquement pour dénoncer ses pratiques, ce journaliste n’a pas tardé à s’en prendre à mes œuvres. Il a publié une critique sur mon recueil de poèmes, « Les fêlures et cinq autres poèmes », où il semblait complimenter mon travail en surface tout en omettant l’essentiel. J’ai encore gardé cet extrait en question, publié sur le site Web du quotidien auquel il est joint : « L’écriture limpide de Ansky Hilaire et Windsor B. Hector évoque avec sensibilité le souffle des écorchés et l’immensité du vide. Chaque poème est une invitation à vivre. Une invitation à rêver. Une invitation à contempler le silence pour contempler le poème. » Par la suite, il a supprimé l’article, sans aucune explication. Cette suppression n’a fait que confirmer l’absence de professionnalisme et l’injustice de ses méthodes.
Ce genre de comportement n’a pas sa place dans un milieu qui se veut le garant de la littérature et de la pensée critique. Nous, créateurs, n’attendons pas des éloges immérités, mais une critique honnête et respectueuse. Nous avons besoin de voix critiques qui, tout en étant rigoureuses, sachent reconnaître la valeur de l’effort littéraire.
L’appel à la dignité et à la reconnaissance
Cher Ar Guens, tu as raison de rappeler qu’il existe une cause plus grande que toutes ces querelles : celle de la littérature elle-même. Si nous ne sommes pas capables de servir cette cause avec dignité, nous ne faisons que trahir notre propre mission. Et cette dignité implique de traiter chaque créateur, qu’il soit de Port-au-Prince ou de province, avec respect. Le talent ne se mesure pas à l’appartenance géographique ou au réseau social. Il se mesure à la profondeur des idées, à la beauté de l’écriture et à la sincérité de l’expression.

C’était à Jacmel, la ville qui ne dort pas.
CP: CLZ » Cette publication a été faite sur Facebook le 23 février 2023. Notez que Malaba n’est pas sur cette photo en question.
Je tiens également à souligner l’effort de certains organisateurs de festivals qui tentent de rééquilibrer la balance en donnant la parole à tous les créateurs, sans discrimination. Des initiatives comme Week-end Poétique de Gabynho et le Festival Périphrase de Billy Doré à Verrettes, également pour les organisateurs de festivals aux Gonaïves montrent qu’il est possible d’organiser des événements littéraires inclusifs et respectueux des créateurs.
Soutien à ta cause
Je veux te remercier encore, cher ami, pour avoir soulevé ces questions essentielles. Ton courage d’aborder ce sujet épineux mérite d’être salué. Je me joins à toi pour soutenir cette cause, pour que la littérature haïtienne retrouve sa grandeur et son intégrité, loin des manipulations et des querelles mesquines.
Par ailleurs, il est important de souligner que mon silence jusque-là n’a pas été motivé par la peur ou par le désir d’épargner qui que ce soit, mais plutôt par une volonté de protéger certaines personnes qui tiennent à maintenir leurs relations avec ce journaliste. Cependant, il est temps que ce dernier arrange ses « petits problèmes » avec moi. Il doit avoir le courage de dire la vérité aux gens, car je ne pourrai plus me taire longtemps. Si nécessaire, j’écrirai un prochain article pour exposer des faits qu’il préfère garder sous silence.
Un homme comme lui, qui se présente comme une voix littéraire et critique, ne peut pas prétendre être féministe ou même aspirer à l’être. Car quiconque soutient sincèrement le mouvement féministe ne fait pas pression pour exploiter ou abuser des femmes. Cette contradiction entre ses discours publics et ses actions privées ne peut rester sans réponse. Mais nous en reparlerons en temps voulu, cher ami.
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