Passe me prendre là où se taisent les cendres des cathédrales
Je te l’avais dit un jour, te souviens-tu ? « Un jour, tu m’apporteras un morceau de soleil. » Je te rappelle ta promesse, même si je ne suis plus vraiment certain de ce que cela voulait dire.
Nous nous sommes dit « je t’aime » pour la première fois au pied de ce mur. Ce même mur qui, à l’époque, semblait être le témoin éternel de nos mots. Les pierres, vieilles de plusieurs décennies, avaient, pensais-je, tout gravé dans leur mémoire. Je crois, si cela ne fait pas partie de tout ce que ma mémoire rejette, que c’était un soir de juin, à Dufort, près de ce vieux lampadaire qui clignotait sur la route de Saint-André sous la petite tonnelle de Madan Roulie (Nan Sine Kay Enock). À l’époque, je croyais qu’elles se souviendraient de tout. Que ce qui avait été dit sous leur ombre serait gravé pour l’éternité. Mais le temps a passé, et les murs, tout comme les hommes, finissent par perdre la mémoire. Je me trompais. Ils oublient, comme nous. Ou plutôt, comme toi. Je t’écris aujourd’hui, pour te rappeler.

Aujourd’hui, les murs ont perdu la mémoire. Ils se sont usés, comme nous. Les années ont défilé, nous séparant peu à peu, et toi, tu as sans doute oublié. Ce n’est pas grave. C’est le propre des choses de s’éroder, des mots de se dissoudre, des souvenirs de s’évanouir. Mais moi, je me souviens encore. De toi, de nous, de cet endroit où nos vies se sont entrelacées. Alors je t’écris. Passe me prendre à la même adresse. Là où nous avions partagé notre premier souffle d’amour, dans cet instant où le monde n’existait plus, où il n’y avait que toi et moi.
Je sais, tout paraît lointain maintenant. Peut-être n’as-tu même plus d’idée précise de cet endroit, et je comprends. Qui pourrait se rappeler d’un vieux mur, d’une rue quelconque dans une ville qui, elle-même, semble avoir oublié ses habitants ? Mais moi, je ne veux pas qu’on oublie. Je ne veux pas disparaître dans ce gouffre d’indifférence, dans ce néant où tout semble s’effacer.
Je te l’avais dit un jour, te souviens-tu ? « Un jour, tu m’apporteras un morceau de soleil. » Je te rappelle ta promesse, même si je ne suis plus vraiment certain de ce que cela voulait dire. Le soleil est devenu lointain, tout comme toi. J’attends toujours, bien que le ciel se soit couvert depuis. Pourtant, si tu viens, n’oublie pas de me l’apporter. Peut-être qu’il parviendra à percer cette obscurité dans laquelle je m’enfonce.

Mais sache que tu ne trouveras que mon ombre. Moi, je ne serai plus là. Ce que j’étais s’est dissipé, comme la poussière des rues abandonnées. Tu pourras prendre mon ombre dans tes bras, si tu le veux. Tu pourras la caresser, lui murmurer les mots que tu n’as jamais dits. Tu pourras même l’embrasser. Mais elle restera froide, vide, car je serai déjà parti. Parti comme la Grand-rue de Port-au-Prince, aujourd’hui déserte, où les pas autrefois bruyants ne résonnent plus. Comme les pèlerins de Saint-André, qui, au fil des ans, se sont perdus dans leurs prières. Comme les vagabonds du Champ de Mars, que plus personne ne voit, que plus personne n’entend.
Alors viens, si tu le souhaites. Viens retrouver ce qui reste de moi, là où nous nous sommes aimés pour la première fois. Mais ne t’attends qu’à une ombre, un vestige. Le reste s’est déjà envolé.
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