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« À l’autre »

À l’heure où ses ratures quitteront ma paume, nos pas seront fautifs où, maintenant, nous n’irons plus.

Le mobilier de deuil qui nous a vus naître ne pouvait supporter nos entrailles déchiquetées par les corbeaux. On a su éclabousser nos nuits à Port-au-Prince. Temple ou tombeau, on a dansé nos fissures sur les bitumes de cette ville, où nul crépuscule ne sait s’attarder sans cadavres.
On a roulé nos corps dans le brasier pour donner forme au chaos qui enveloppait nos plaintes.

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« À l’autre » de Calems Fleurit.


On était tout. On buvait les yeux du fauve, tels des corsaires qui remontaient les pentes de l’histoire. Ce n’était pas tant les soupirs qui nous épuisaient, c’était la lune que nous avions cueillie un peu trop tôt dans le noir. Elle a égorgé les murs sans mémoire de tumultes et nous tendait ses cris tel un cœur armé d’un bouquet noir que le béton ne supportait pas.

Toi et moi sommes nés sous les mêmes tragédies de la rue, avons dansé nos besoins de conquête sur des joints qui empestaient la canicule de Port-au-Prince. On a tiré des coups dans toutes les rues qui voulaient supporter nos arcs-en-ciel biaisés. On se bousculait pour dépayser nos circuits de gestes dans la main de notre immortelle. Petits corps d’errance, on migrait nos peines où minuit convoitait la convalescence de l’amour, quand des yeux d’accueil momifiaient nos intentions.

Pourtant, c’est quand l’angélus jetait ses fardeaux sur la ville que je te voyais le mieux. Tes blessures au repos ordonnaient à tes yeux de ne point verser un bâton de pluie. Tu dansais ta solitude sur des regrets. Des débris de ciel comblaient tes veines par l’arrogance de la nuit.

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Image : CLZ

À l’heure où ses ratures quitteront ma paume, nos pas seront fautifs où, maintenant, nous n’irons plus.


Je voudrais payer ma dette envers toi, avec cette allure de désolation. Et ce poème est un naufragé, il reste collé au fond de la bouteille. Ce petit bout de moi que je t’ai caché pendant près de trois ans n’aura nulle autre prétention que de se poser dans les pas de ton regard, éparpillés dans chaque angle de la rue. Mes mots, embryons de chaleur mort-nés, dansent leurs fissures sur le parvis de l’obscurité, qui elle-même devenait profuse et sans objet. C’est moi, l’enfant du béton qui se noyait dans le sang acide du soleil avant que les ombres aient effacé ses gestes à recomposer. C’est moi, l’autre visage de ta puanteur, c’est moi qui ai grandi la nuit, loin de l’écho humain, avec du retard dans la gorge et des cadavres dans les yeux.

J’ai tué le fleuve amer dans tes paupières avec deux plaintes, une pour les cris de ton mal-être et l’autre pour les absences arquées dans tes mains. J’ai supplié les cimetières de m’envoyer des gestes capables d’exhausser mon abaissement, d’équilibrer cette partie de moi qui tombe, de réunir ce qui est séparé, de recomposer ce qui est détruit. Mais, sans raison aucune, on n’obtient jamais ce que l’on demande à la providence.

Ce soir, tu es parti sans moi. Tu m’as laissé un goût de terre dans la gorge, tel ce nuage qui te siérait au-dessus du ciel quand la nuit façonnait ton ombre dans ma tête et que je me perdais dans l’abîme de tes tourments. Toi, mon autre face, ce n’est pas facile de porter deux plaintes dans le tribunal de la rue sans être écœuré par les juges qui y siégeaient : des sans-abris collés au ciel vide, des enfants qui encadraient dans leur paume des soleils biaisés…

J’ai payé ma dette avec des soupirs muets ; pourtant, je ne rêvais que de caves brûlées, d’enfants qui faisaient la calligraphie des rivières qui pleurent, des débris de ciel qui comblaient nos rigoles en apnée et tes fous rires qu’on pouvait insérer dans les craquelures du béton.

Mon regret papillonne d’un objet à un autre pour chanter les plaintes hargneuses des chiens errants dans la savane. Je transporte un abîme plein sur ce bout de papier qui tente d’enfermer mes syllabes raturées. Je connais l’amas de poussière qui habite tes veines, quand la nuit pond des aubes mortes sous les rires moqueurs de la lune. Je connais les absents qui errent sur tes lèvres.

Je ne te dirai pas adieu. Souviens-toi que nous avons dégrafé cette ville en miettes, qui a su porter nos tumultes, quand les nuages semblaient s’être interposés entre les choses et nous…

Calems Fleurit.

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